Entretien avec le Professeur Moreau

Bonjour Professeur Moreau,

Pouvez-vous vous présenter en quelques lignes svp.

Je m’appelle Caroline Moreau, j’ai 42 ans, je suis neurologue, née dans la région du Nord (valenciennes) que je n’ai pas quitté pour y exercer ma profession : spécialiste des mouvements anormaux et de la maladie de Parkinson à Lille.
Je travaille avec mon mari le Pr David Devos, afin de développer de nouveaux traitements dans la maladie de Parkinson et je m’intéresse aux signes axiaux (troubles de la communication, troubles de la marche et de l’équilibre). Mon but est d’essayer d’améliorer la qualité de vie des patients parkinsoniens y compris a un stade avancé de la maladie.
Je suis la maman d’une petite fille de 7 ans et demie, j’adore la course à pied et les chevaux !

Voilà 5 ans maintenant que l’association « Vaincre Parkinson » reverse des dons à votre unité de recherche du CHRU de Lille, 70 000 euros cumulés, pouvez-vous nous dire ce que vous avez réussi à mettre en place avec ces dons.

La première partie des dons a permis de réaliser une étude qui s’appelle « PRO-DY-GI Park » (co-financement avec France Parkinson).
Dans cette étude nous avons enregistré de façon prospective 70 patients parkinsoniens au début de la maladie, afin de dépister les signes axiaux de façon précoce : analyse de la voix, de la respiration, de la déglutition et de la marche.
Nous avons mis en évidence la présence de troubles de la parole chez 40 % des patients, de troubles respiratoires précoces surtout chez les hommes, en rapport avec un certain phénotype de la maladie, 60 % des patients présentaient des troubles qualitatifs de la déglutition. Les troubles de la marche étaient plus discrets, amis certains phénomènes paroxystiques, comme le freezing et la festination, spécifiques de la maladie de Parkinson, ont pu être provoqués et enregistrés chez certains patients, cela pouvant constituer des biomarqueurs de la maladie.
Cette étude a été poursuivie par la répétition des enregistrements dans une grande partie de la cohorte à 2 ans et 5 ans, et nous avons développé une connaissance plus précise de certains troubles respiratoires (expertise reconnue au niveau mondiale, thèse de science du DR Guillaume Baille).

Concrètement prendre conscience tôt des problèmes axiaux c’est développer des techniques de rééducation adaptées et personnalisées, intensive afin de retarder les complications pour chaque patient ! 

Ces travaux ont été publiés dans les revues scientifiques suivantes et présentées à plusieurs congrès nationaux et internationaux :

Moreau C, Devos D, Baille G, Delval A, Tard C, Perez T, Danel-Buhl N, Seguy D, Labreuche J, Duhamel A, Delliaux M, Dujardin K, Defebvre L. Are Upper-Body Axial Symptoms a Feature of Early Parkinson’s Disease? PLoS One. 2016 21;11(9):e0162904. doi: 10.1371/journal.pone.0162904. PMID: 27654040; PMCID: PMC5031440.

 

Moreau C, Pinto S. Misconceptions about speech impairment in Parkinson’s disease. Mov Disord. 2019 Oct;34(10):1471-1475. doi: 10.1002/mds.27791. Epub 2019 Jul 15. PMID: 31307114.

 

D’Cruz N, Vervoort G, Fieuws S, Moreau C, Vandenberghe W, Nieuwboer A. Repetitive Motor Control Deficits Most Consistent Predictors of Conversion to Freezing of Gait in Parkinson’s Disease: A Prospective Cohort Study. J Parkinsons Dis. 2020;10(2):559-571. doi: 10.3233/JPD-191759. PMID: 32039860.

 

Baille G, Perez T, Devos D, Machuron F, Dujardin K, Chenivesse C, Defebvre L, Moreau C. Dyspnea Is a Specific Symptom in Parkinson’s Disease. J Parkinsons Dis. 2019;9(4):785-791. doi: 10.3233/JPD-191713. PMID: 31476170.

 

Baille G, De Jesus AM, Perez T, Devos D, Dujardin K, Charley CM, Defebvre L, Moreau C. Ventilatory Dysfunction in Parkinson’s Disease. J Parkinsons Dis. 2016 Jun 16;6(3):463-71. doi: 10.3233/JPD-160804. PMID: 27314755; PMCID: PMC5008229.

 

Grolez G, Viard R, Lopes R, Kuchcinski G, Defebvre L, Devos D, Dujardin K, Moreau C. Functional correlates of cognitive slowing in Parkinson’s disease. Parkinsonism Relat Disord. 2020 Jul;76:3-9. doi: 10.1016/j.parkreldis.2020.05.006. Epub 2020 May 19. PMID: 32531530.

 

Baille G, Chenivesse C, Perez T, Dujardin K, Defebvre L, Moreau C. Dyspnea: A Missing Item of the MDS-UPDRS Part I? Mov Disord. 2020 Jun;35(6):1079. doi: 10.1002/mds.28036. Epub 2020 Mar 25. PMID: 32212349.

 

Baille G, Chenivesse C, Perez T, Machuron F, Dujardin K, Devos D, Defebvre L, Moreau C. Dyspnea: An underestimated symptom in Parkinson’s disease. Parkinsonism Relat Disord. 2019 Mar;60:162-166. doi: 10.1016/j.parkreldis.2018.09.001. Epub 2018 Sep 8. PMID: 30224267.

 

Atkinson-Clement C, Letanneux A, Baille G, Cuartero MC, Véron-Delor L, Robieux C, Berthelot M, Robert D, Azulay JP, Defebvre L, Ferreira J, Eusebio A, Moreau C, Pinto S. Psychosocial Impact of Dysarthria: The Patient-Reported Outcome as Part of the Clinical Management. Neurodegener Dis. 2019;19(1):12-21. doi: 10.1159/000499627. Epub 2019 May 21. PMID: 31112944.

 

Baille G, Perez T, Devos D, Deken V, Defebvre L, Moreau C. Early occurrence of inspiratory muscle weakness in Parkinson’s disease. PLoS One. 2018 Jan 12;13(1):e0190400. doi: 10.1371/journal.pone.0190400. PMID: 29329328; PMCID: PMC5766081.

L’année 2020 a été particulièrement compliquée pour tout le monde, comment avez-vous pu poursuivre vos projets de recherches et vos consultations en tant que neurologue ?

En effet, l’année 2020 a été d’une complexité inédite. Dans la région Hauts-de-France, nous avons particulièrement été touchés par la première et la seconde vague de COVID 19. 
Je dois avouer une certaine sidération pendant la première vague et un hôpital vidé de toute son activité non-COVID !

Nous avons rapidement remplacé toutes nos consultations présentielles par des téléconsultations et avons dû réduire nos capacités d’accueil des patients parkinsoniens. Nous avons arrêté pendant 2 mois l’activité de stimulation cérébrale profonde en neurochirurgie, ce qui nous a posé un gros problème car plus de 30 malades étaient en attente d’un tel geste.
Nous avons communiqué via les médias locaux (la voix du Nord) des articles et des petits liens vers des exercices d’auto-rééducation car la majorité des patients ont vécu une rupture de soins de rééducation (kinésithérapie, balnéothérapie, orthophonie, ergothérapie).
L’intérêt des plateformes de communication (tel predice) et du renforcement du lien ville-hôpital a été flagrant et nombre de nos patients ont vécu une réelle dégradation de leurs symptômes moteurs mais aussi non-moteurs (anxiété, insomnies, troubles du comportement, douleurs, troubles digestifs, troubles sphinctériens) durant cette période.

 Lors de la seconde vague, nous avons réagi différemment : certes nous avons accueilli des patients COVID dans nos unités, mais plus questions de rompre le lien avec nos patients !
– Les consultations maintenues (avec respect des gestes barrières)
– Augmentation des consultations et hospitalisations de jour pour pallier au déficit de lits d’hospitalisation conventionnelle
– Pas d’arrêt des toxines botuliques
– Reprise des blocs opératoires NST et rattrapage du retard en passant à un rythme plus soutenu
– Kinésithérapie maintenue
– Développement de l’auto-rééducation chez certains patients à l’aide de semelles connectées

En ce qui concerne la recherche, nous avons réussi le challenge de ne pas stopper le projet en cours en 2020 (FAIR PARK II / chélateur de fer : essai terminé – étude DIVE / dopamine intra ventriculaire : étude commencée premier patient opéré et second patient programmé) et développer de nouveaux projets (GAIT N PARK) même en période de confinement !

Pouvez-vous nous parler de vos projets de recherche à venir / en cours?

Les axes de recherche développés actuellement au sein de l’unité inserm 1172-1, du centre expert Parkinson de Lille sont :
1) étude DIVE : infusion intra cerebro-ventriculaire de gel de dopamine (InBrain Pharma)
2) étude Gait N Park : étude prospective de la marche dans plusieurs populations de parkinsoniens a différents stades de la maladie et comparaison a un groupe de sujets sains et un groupe de patients AMS. Analyse multimodale prospective afin de rechercher les facteurs déterminants des troubles de la marche dans les syndromes parkinsoniens, avec utilisation de semelles connectées (FEET ME, étude sponsorisée par Lundbeck, FeetMe, France Parkinson et Vaincre Parkinson)
3) étude FAIR PARK II : étude randomisée en double aveugle versus placebo d’une molécule chélatrice de fer dans la maladie de Parkinson de novo (financement européen H 2020)

Pouvez-vous nous parler des jeunes parkinsoniens, comment ils sont diagnostiqués comment ils sont pris en charge et suivis ?

Je définirais les jeunes parkinsoniens par une population dépistée vers la 4 ou 5 décennies, toujours actifs, en famille et donc en couple, chez qui nous diagnostiquons une maladie de Parkinson. En 2021, le diagnostic reste clinique, mais des examens complémentaires permettent de confirmer la déplétion dopaminergique pré-synaptique (le fameux Dat Scan) et d’éliminer une autre pathologie ( IRM dosage du cuivre pour éliminer le wilson par exemple).

La période d annonce diagnostic est un bouleversement majeur dans la vie de ces personnes, le besoin de consulter plusieurs spécialistes et de poser toutes les questions qui viennent à l’esprit est légitime.
Il faut un encadrement spécial des patients et de leur conjoint dans cette période extrêmement vulnérable.
Des consultations rapprochées, un soutien psychologique par une praticienne spécialisée dans la maladie de parkinson et son retentissement sur le couple ainsi qu’un accès à l’éducation thérapeutique, pour qu’une fois le choc passé le patient puisse essayer d’accepter sa maladie et de s’approprier les connaissances nécessaires à la gestion de cette dernière.
Chaque centre expert dispose d’une équipe médicale et paramédicale spécialisée dans la maladie de Parkinson, à même de répondre a ces questionnements et soutenir les malades.

Enfin, il faut rassurer les patients : en 2021, avec un traitement adapté et une rééducation on vit presque normalement pendant de nombreuses années avec la maladie de Parkinson (sans renier le fardeau qu elle peut constituer dans la vie quotidienne, la famille, le couple et les interactions sociales !)

Pouvez-vous nous expliquer en quoi le sport est un bien être pour les personnes atteintes par la maladie de Parkinson ?

Le sport est essentiel à la maladie de Parkinson : 50 % du traitement !

Il ne doit pas être fait n’importe comment c’est pourquoi de nombreux centres proposent des ateliers d’activité physique adaptée et de rééducation en fonction des patients. Il faut un programme adapté (et si j’osais je dirais un coach, afin de garder la motivation et quantifier sa progression !) Certains patients se disent complètement libres de symptômes après une bonne séance de sport !

Il doit être commencé tôt dans la maladie pour ralentir la progression de la maladie avec des périodes de rééducation intensives entrecoupées de période d’entretien ; mais pas d’excuse il faut être constant dans l’effort et s’y tenir ! Même l’hiver et surtout quand la fatigue et la démotivation guettent !
Je suis fan des programmes d’auto rééducation avec les objets connectés qui permettent à tous les patients de choisir le moment propice pour faire leurs exercices, dialoguer avec un professeur d’APA qui quantifie leur progression et leur renvoie un feedback ( FeetMe rehab par exemple).

Quels conseils pouvez-vous donner aux aidants de personnes touchées par la maladie ?

Je pense qu’on ne prend pas encore la mesure du choc que subissent les aidants dans l’épreuve que constitue la maladie de Parkinson actuellement. Les aidants doivent autant que possible venir à la consultation, participer aux ateliers spécifiques et poser les questions sur tous les sujets qu’ils ont en tête. En 2021, il ne devrait plus y avoir de tabous et l’arrivée des infirmiers de pratique avancée va, j’espère, dans les prochaines années aider à une meilleure prise en charge du couple face à la maladie.
Je pense surtout aux couples jeunes, car bien souvent la maladie est un cataclysme dans ce cas, et nous ne savons pas comment aider à l’heure actuelle.

Est-il possible à l’heure actuelle de « dépister » afin de poser un diagnostic précoce avant même les premiers symptômes ? Quelle population pourrait être concernée ?

Avant les premiers symptômes, non c’est impossible ; mais on sait qu une population de sujets est à risque il s’agit de personnes adultes présentant un trouble du sommeil bien particulier (trouble du comportement en sommeil paradoxal). Ces personnes sont à haut risque de développer un syndrome parkinsonien dans les 10 ans.  

Quelles sont les signes les plus évocateurs des prémices de la maladie ?
Les symptômes de la phase prodromale sont (du plus spécifique au plus courant) :
– Trouble du comportement en sommeil paradoxal
– Troubles de l’odorat (anosmie)
– Troubles digestifs (constipation)

Quel est l’âge moyen actuel des personnes atteintes ?

Le pic de fréquence de la maladie de Parkinson est dans la 5 e décennie, il s’agit d’une moyenne, il existe des formes précoces (dites juvéniles rares et génétiques) et des formes tardives (7 e décennie, sous forme de troubles de la marche et de troubles cognitifs).

Il est important de savoir que les patients qui débutent une maladie tôt vont en général avoir une excellente réponse aux traitements et que plusieurs lignes de traitements pourront être essayées chez eux avec succès pendant plus de 20 ans.

L’atteinte à corps de Lewy, comment la décrire ?  Quelles sont les différences ou les similitudes avec Parkinson s’il y en a ? Quel est le parcours médical de l’une et l’autre maladie ?

Les corps de Lewy sont des agrégats de protéine anormalement conformée qui se déposent dans les neurones et les cellules gliales (tissu de soutien cérébral) des patients atteints de maladie de Parkinson, démence a corps de Lewy et atrophie multi système. Ces 3 maladies appartiennent de fait au groupe des synucleinopathies. Il s’agit d’une définition neuropathologique, impliquant une anomalie commune dans l’élimination des protéines.

En clinique ces 3 maladies sont différentes : la maladie de parkinson évolue lentement, l AMS évolue plus rapidement avec des troubles du système nerveux autonome sévères et précoces et la démence a corps de Lewy est une démence ou les signes moteurs ne sont pas toujours au premier plan.

Dans ces 3 maladies on trouve différents agrégats de protéine anormale qui ne sont pas situés au même endroit (soit dans les neurones, soit dans les cellules gliales) ou n ont pas la même topographie cérébrale. Cela donne lieu à de nombreux débats scientifiques mais aussi au développement de traitements : immunotherapie (anticorps anti alpha synucleine, oligoneucleotides anti sens…) qui sont actuellement en cours de tests chez l’humain et constituent un espoir pour les patients.

L’avancée médicale majeure selon vous qu’on pourrait espérer pour les
maladies neurodégénératives et  la
maladie de Parkinson dans un futur proche ?

De nombreux axes de recherche sont en cours :

– Lutte contre la surcharge en fer dans le système nerveux central

– Inhibiteurs de glucagon like peptide 1

– Thérapie génique et greffe de cellules souches pluripotentes

– Nouvelles voies d’administration de la dopamine ou de la L dopa

– « rescue therapy » apomorphine sub linguale, L Dopa intra nasale…..

 Les années à venir promettent des avancées intéressantes.

MOREAU EQUIPE